Jean-Pierre Portevin Mofant Mofant, chapitre 2

Mofant, chapitre 2

    En deux mois ma vie venait de basculer. Il y avait là comme une nouveauté qui me troublait moi qui aime tant prendre mon temps. Je réfléchis beaucoup et quand je réfléchis, j’attends et quand j’attends,  je doute et quand je doute, je réfléchis : voyez le souci. Ce n’était pas ma licence d’histoire, décrochée sans trop d’effort  qui pouvait me contenter ! Je méritais mieux. Du moins c’est ce j’aimais à penser.   Mon quotidien était plutôt agréable, ça je ne dis pas, mais je souhaitais en reprendre le contrôle, c’est tout. J’étais un étudiant comme il y en a tant et c’est justement cela qui m’agaçait. J’avais envie de marquer ma différence. Je ne me fixais pas un objectif précis ou par trop ambitieux mais enfin, un petit quelque chose qui me fasse sortir du lot, ce n’était quand même pas trop demander, non ?

Je travaillais comme surveillant, pion disait-on à l’époque, dans un lycée proche de la fac  pour payer mes études. Et dire qu’aujourd’hui je serai assistant d’éducation ce qui a quand même plus d’allure, vous le reconnaitrai sans peine j’espère. Dans les années quatre vingt le pion de base que j’étais, cherchait surtout à maintenir dans des salles d’études bondées une tranquillité propice à ses propres intérêts. Contrairement à nombre de mes amis que leurs parents sponsorisaient allégrement, cela me rendait plus fier que jaloux. Mais si on y réfléchit, voyez, je ne vous ai point  menti, ce poste de pion ne m’apportait rien d’autre qu’un maigre salaire. J’étais le premier rempart d’une autorité séculaire : celle de l’Education Nationale ! N’étant pas d’un naturel patient j’avoue que mes relations avec les élèves n’étaient pas empreintes d’une amitié qui n’avait d’ailleurs pas lieu d’être. Ces jeunes gens m’avaient affublé d’un surnom qui me convenait tout à fait : Lucky Luke. Selon eux je collais plus vite que mon ombre !  Ne soyez pas offusqués s’il vous plaît : le collège (vous ai-je dit qu’il était privé et catholique ?) accueillait dans une ambiance austère et quelque peu rigide une foule d’internes venus de la région parisienne et dont les parents espéraient secrètement que l’air de la Touraine, associé à la soutane des trois quarts des professeurs feraient des miracles. Je reconnais qu’une basse conscience de classe et le désir d’avoir la paix devant une étude  peuplée de bourgeois en bourgeons m’incitaient à faire régner un calme propice aux études. C’est du moins ainsi que je présentais la chose au directeur, le père Archambeau, qui venait de recevoir une plainte d’un parent mécontent.

Quand à mes aventures sentimentales, si je pouvais me targuer d’un certain succès, ce n’était plus à mes yeux que soupirs fatigués qui viraient à la collection stupide. Collection parfaitement, je n’ai point peur du mot. N’y voyez rien d’autre qu’un constat. Et cette collection représentait pour moi une somme d’efforts considérables. Si mon physique était un brin passe partout je n’étais quand même pas repoussant et j’ai toujours fait preuve d’un humour de bon goût et  d’une ironie mordante mais bien dosée. Il est en effet fondamental de ne pas faire fuir la proie et pour cela un silence savamment distillé me semblait nécessaire. Les dragueurs trop bavards m’insupportent. Je ne dirais pas que j’étais d’une fidélité à toute épreuve mais je crois n’avoir jamais manqué de respect. Les longues soirées où je refaisais le monde avec mes amis autour d’un verre de téquila n’aboutissaient plus qu’à une gueule de bois dévastatrice. Il fallait que ça change ! Je me décidais à sonner la charge, laissant aux autres ce qui restait de tequila. Entre deux aventures, l’une blonde, l’autre pas (Faustine était brune) je pris des contacts, effectuais quelques démarches, aidé en cela par ma grand-mère. Mamy faisait dans le troisième âge dynamique et son carnet d’adresses valait le détour. C’est elle qui me dégota le rendez-vous.

   La personne qui me regardait d’un air soupçonneux dans cet étroit bureau s’appelait sœur Simone : cela n’augurait rien de bon ! Elle était pourtant en civil mais je ne me laissais pas abuser. Il y avait des indices : un poil de rectitude, un soupçon de ringardise, les petites lunettes cerclées, la voix haut perchée, sans parler du poster du pape qui couvrait tout le mur. Sœur Simone m’accueillit gentiment. Certes, elle aurait pu se dispenser de m’offrir une tisane à la fleur d’oranger mais je ne lui en veux pas. Elle avait un marché intéressant à me proposer : deux ans dans un coin perdu du nord Togo pour être professeur d’histoire.  Un collège catholique là encore, mais en brousse. Sœur Simone me fit l’historique et précisa qu’il s’agissait d’un collège de filles. Devant mon étonnement elle ajouta d’un air pincé vérifiant d’un regard si une oreille indiscrète ne trainait pas dans les parages.

  • Là- bas il est préférable que ces jeunes filles se retrouvent entre-elles.

Elle me fit un signe d’un air entendu mais s’apercevant que je ne réagissais pas elle rajouta

  • Parfois leur scolarité se transforme en maternité.

La pauvre en avait trop dit, du moins c’est ce qu’elle laissait à penser tant le rouge lui monta aux joues. Pour ma part je fus tenté de plaisanter arguant que peut-être il s’agissait là d’un miracle mais je m’arrêtais à temps.

Deux mois plus tard, j’enregistrais mes bagages. L’affaire avait été rondement menée : vaccins, mise à niveau de la garde robe, tournée familiale (mamy n’étant pas la moins enthousiaste). Mes parents accueillirent la nouvelle avec un calme étonnant. Mon père restait silencieux ; je n’ai d’ailleurs jamais su ce qu’il en pensait vraiment. Quant à ma mère, elle avait les yeux qui pétillaient plus que d’ordinaire. Elle inclinait la tête, posait peu de questions mais écoutait attentivement mes réponses les ponctuant de jolis murmures : « hummm », « c’est bien », « ah oui quand même ! ». Elle clôtura la conversation  d’un sourire magnifique et d’un « je suis contente » qui restera  à jamais gravé dans ma mémoire.

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2 thoughts on “Mofant, chapitre 2”

  1. Bonjour, eh bien ma foi, c’est tout à fait tonique…et tonique dès le départ du premier chapitre.
    En tous les cas ça se lit bien….
    J’attends la suite
    Cordialement
    Monique Chartier

    1. Salut Monique tu es la première à commenter et tant mieux si ça te plait je viens de mettre le 3

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