Jean-Pierre Portevin Fantasy Aïwendil le brave : livre 1 du Souffle d’Askat

Aïwendil le brave : livre 1 du Souffle d’Askat

UN guerrier au service d’un impérator manipula par le démon Astharoth s’enfuit on ne sait ni pourquoi ni avec quoi.

le 1er chapitre

Il y a dix mille ans de cela, après la guerre des dieux, l’empire de Politeïa régna sur le monde, puis vint le temps des ombres noires et de l’impérator. C’est alors que deux hommes se rencontrèrent.

Journal d’Iléna, souveraine des dames vertes

1

Abdias et le maraudeur

Le vieux bâtiment de pierre grise se distinguait à peine, comme abandonné au creux d’une lande parsemée d’arbres décharnés qui attendaient, figés, un printemps improbable. La région entière grelottait, engluée dans un hiver sans nom. L’homme s’enveloppa davantage dans sa lourde cape qui le protégeait d’un vent sournois, si violent parfois qu’il préféra l’ignorer. Tout autour de lui la nature, elle aussi, avait compris qu’il fallait courber l’échine et attendre.

Il progressait lentement, déjà plusieurs heures qu’il marchait, mais le pas restait régulier. L’homme était visiblement un habitué des chemins, grands ou petits. La nuit approchait. Maraudeur ou pas, il lui fallait trouver un refuge. Si ses poursuivants avaient abandonné la traque, ce n’était que provisoire, et les chiens des plateaux allaient bientôt sortir de leurs tanières. Mieux valait les éviter : des chiens de loqueteux, maigres à faire peur. Le poil ras, le museau allongé, des crocs acérés, ils chassaient la plupart du temps par horde d’une dizaine d’individus. L’homme allongea le pas, sa main serrée sur la garde de son épée. Il n’était plus très loin de la vieille église où il avait prévu de passer la nuit. Alors qu’il commençait à en deviner les contours, il aperçut l’ombre chancelante d’un feu. Il avança avec prudence, s’arrêtant parfois de longs moments, attentif au moindre bruit. Une énorme souche que la foudre avait frappée il y a peu, à en croire l’odeur de brulé encore tenace, lui servit de promontoire. La ruine avait beau être une église, lui ne se fiait à aucun dieu, son instinct lui suffisait. Mais c’était là qu’il passerait la nuit et si l’homme du feu comptait s’y opposer, il s’en débarrasserait sans problème. Il se hissa sans difficulté au niveau d’un vitrail tout aussi fatigué que l’ensemble. Ce qu’il vit le rassura. L’homme était seul, entièrement nu, émacié, la silhouette élancée pour ce qu’il pouvait en voir et il alimentait un maigre feu faisant sécher ses vêtements et rôtir un lièvre qui paraissait bien maigrichon. Une fois descendu de la souche, il s’approcha de la porte, seul endroit encore vaillant de l’édifice. Le maraudeur entra brusquement : il est toujours bon de surprendre celui qu’on ne connait pas, une des premières choses qu’on lui avait apprises là-bas. Le vent glacial s’engouffra dans la pièce avec fureur, prenant possession des lieux, et souffla les braises, l’homme ne bougea pas d’un pouce, protégeant juste le feu de sa main, continuant de tourner sa broche sur laquelle l’animal finissait de cuire.

— Referme la porte, l’ami, tu vois bien que je suis nu, et la nuit n’est guère engageante.

Le maraudeur avait déjà sorti sa dague et s’apprêtait à la lancer, l’homme était toujours de dos.

— Sans vouloir te commander, car je ne suis pas en situation, referme la porte. La nuit est plutôt fraiche. Viens donc partager ce repas, à moins que tu n’aies d’autres idées en tête.

L’homme du chemin était sur ses gardes, le calme de cet inconnu n’augurait rien de bon.

— Éloigne-toi du feu, lève bien tes mains et retourne-toi.

Il claqua la porte et prit le temps de scruter ce visage impassible : un homme des routes lui aussi, la peau était tannée par le soleil, les rides bien marquées. Difficile de lui donner un âge, mais le gaillard semblait en forme. La tête était rasée avec des motifs runiques qui couvraient la totalité du crâne : un prêtre, un moine, un mage, enfin un de ces hommes de Dieu ou de l’au-delà. Ce n’était pas un guerrier, c’était déjà ça. L’autre le dévisageait tout autant.

— Envisages-tu de me regarder de bas en haut, ou ai-je une chance de me vêtir ? Ma tunique est sèche désormais. Je suis d’une nature ouverte, mais je t’avoue que la situation est quelque peu embarrassante.

Le maraudeur baissa son arme et avança.

— Recule un peu et remets tes vêtements.

Ce que l’homme fit, toujours sans s’affoler.

— Merci, l’ami ! Cette simple robe de bure était trempée jusqu’à la corde, me voilà un peu plus digne et plus au chaud. Je me présente : Abdias, prêtre d’une Église qui vacille, tout comme ce feu qu’il conviendrait d’attiser un peu si tu veux partager ce repas. À moins que tu désires te le réserver, ce que je trouverais fort peu civilisé.

— Tu sais, moi et la civilisation…

Le maraudeur jeta néanmoins quelques buches qui se trouvaient là, et le feu repartit de plus belle.

— Je vois que tu es plus doué que moi pour les choses pratiques, je peux m’avancer ?

— Assieds-toi en face de moi que je puisse te surveiller.

— Qui es-tu pour être ainsi soupçonneux ?

— Un maraudeur, un solitaire, qu’importe. Et je n’ai guère envie de faire la conversation, dit-il tout en surveillant la cuisson.

— J’imagine, quand on voit cette épée et ce baluchon, que tu as si bien sanglé autour de tes épaules qu’il semble faire partie de toi.

— Tu observes trop et tu es bien peu effrayé. C’est assez pour attiser ma méfiance.

Il enleva le lièvre de la broche, le coupa en deux d’un coup sec et tendit l’autre moitié à Abdias. Un long silence s’en suivit, entrecoupé de bruits de succion puissants. Décidément, ce lièvre était bien maigre. Les petits os tombaient les uns à côté des autres, récurés jusqu’à l’extrême, bien propres, presque nacrés. Le feu commençait à s’éteindre quand le prêtre jeta à son tour quelques buchettes et deux grosses branches. Il s’allongea alors non loin de ce feu pour s’endormir aussitôt à même le sol, mais le maraudeur alla vers lui.

— Avant je vais juste t’attacher, de quoi dormir tranquille.

— C’est curieux, mais je n’arrive pas à être surpris. Cela dit, si tu pouvais ne pas me couper la circulation…

L’homme desserra un peu les liens et repartit se caler à son tour dans un des recoins de la bâtisse. Avant de fermer les yeux, il regarda plus en détail le vieil édifice. Les murs étaient faits de pierres sèches et plates qu’on trouvait dans les environs, savamment imbriquées les unes aux autres. Tout ce qui avait pu être volé l’avait été depuis des lustres, les murs étaient donc nus, couverts de poussière et rongés par endroits par les ronces et la mousse ; mais la bâtisse tenait bon, comme lui, pensa-t-il. On devinait çà et là quelques taches plus claires qui devaient indiquer l’emplacement d’un tableau. À part les murs il ne restait rien qui vaille la peine.

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