Le trésor de sir Réginald

LE  TRESOR  DE SIR REGINALD

FANTAISIE POLICIERE

JEAN – PIERRE

PORTEVIN

          Le bureau allait céder ! C’était juste une question de minutes. Déjà la troisième encyclopédie venait de rejoindre les deux  autres. Ajouté aux diverses publications du cercle archéologique local cela commençait à faire beaucoup pour ce meuble acheté d’occasion.

Accroché à sa tasse de café froid, Jean-Pierre gribouillait des feuillets qui régulièrement allaient finir au pied de la poubelle. Une heure déjà et il n’avançait guère.

La sonnerie du téléphone le tira de ce mauvais rêve. D’abord il fallut trouver l’engin, un portable dernier cri qu’il s’était offert  un soir de déprime. Lui qui n’aimait rien tant qu’un bon vieux stylo plume sergent major !

Le vendeur, un ancien élève dégoulinant d’assurance lui avait débité tout un discours formaté. Il avait fini par céder. La sonnerie insistait ce qui lui permit de repérer l‘objet du délit sous un tas de copies abandonnées là et qu’il faudrait bien  reprendre un jour.

  • Madame Y ! oui je sais Benoît est un gentil garçon…oui madame Djédaille je serais attentif…Oui  c’est évident mais faîtes attention à ses fréquentations malgré tout. Oui ..oui ..bien sûr mais … méfiez vous quand même la petite Anna Kin a sur lui une mauvaise influence

S’en suivit un monologue d’une dizaine de minutes qu’il s’apprêtait à écourter quand l’idée saugrenue de s’asseoir sur le bureau lui traversa l’esprit.  Il n’aurait pas dû !

Madame Djédaille raccrocha alors brutalement le combiné – elle n’avait point de portable -trop petit pour sa poigne de fer !

  • Ce monsieur  vient de me raccrocher au nez ! Je lui dirai ma façon de penser à la prochaine réunion de parent

Dans le bureau, il lui fallut une bonne heure pour retrouver les copies, les classer, reconstituer la pile de livres qui lui  servait pour ses recherches, scotcher la couverture d’une des  encyclopédies et caler avec une des 2 autres le pied qui venait de céder.

Ce mémoire qu’on lui avait demandé ne devait être que la 48ème  collaboration au cercle d’archéologie local de St Plougatson. Les 47 premières avait reçu un accueil favorable parmi les érudits départementaux, les pensionnaires de la maison de retraite du moins celles qui pouvaient encore lire, sans compter quelques parents d’élèves qui devaient penser qu’une bonne critique améliorerait les notes de leurs cher petits !

Mais là, vraiment il n’en pouvait plus. Le maire lui avait demandé une biographie de Sir Réginald.  Jusque là tout allait bien. Sir Réginald était un nobliau anglais qui s ‘était amouraché tout à la fois d’une bonne et solide boulangère et des idéaux de la révolution française. Il avait tout quitté pour suivre et l’une et l’autre. Il avait participé au développement du village. Dans les archives municipales on dénombrait à son crédit la construction d’un moulin, la création d’une fonderie métallique et de son musée attenant    (c’était marqué ainsi dans les vieux feuillets encore lisibles) la rénovation de la place centrale qui allait bientôt porter son nom ainsi que d’une imprimerie dernier cri, le tout à ses frais bien entendu. Sir Réginald avait ensuite disparu avec sa boulangère faire fortune aux amériques. On l’avait vu revenir plus tard, vieux et usé à St Plougatson pour y finir sa vie. La boulangère n’était plus de ce monde mais le « british » comme on le nommait désormais avait un naturel accueillant et quelques principes humanistes. De nombreuses jeunes filles de la région purent ainsi poursuivre leurs études grâce au soutien sans faille que sir Réginald leur accordait. Il poussait même la charité jusqu’à les héberger. Certes, il y eut bien quelques rumeurs mais rien de grave et monsieur le curé qui venait de recevoir de quoi restaurer le toit de l’église et de pourvoir à l’achat de nouvelles cloches se chargea de calmer ces médisances. Malheureusement à un âge avancé la charité a ses limites et l’on retrouva le british les bras en croix, affalé sur son lit. La maréchaussée de l’époque stipula dans un rapport  circonstancié de trois pages joliment calligraphié que les trois jeunes femmes qui se trouvaient là au moment du drame ne purent rien faire pour le sauver. Tout cela était écrit noir sur blanc, archivé et tamponné de la manière la plus officielle

Jean-pierre avait écrit un article sérieux, bien documenté et s’apprêtait à l’envoyer au cercle local d’archéologie de St Plougatson avec la fierté du devoir accompli mais le maire, accessoirement président d’honneur du dit comité ainsi que monsieur le curé membre de droit du conseil  d‘administration avait émis quelques réserves

  • Toute vérité est elle bonne a dire ?
  • Ne pourrait-on pas se limiter à la période révolutionnaire ?
  • Le bienfaiteur de St Plougatson ne mérite pas de voir sa mémoire salie par quelques rumeurs
  • Des faits monsieur le curé des faits ! Ce brave homme a œuvré  pour le village mais force est de constater qu’il s’est octroyé quelques gâteries vers la fin, ou est le mal ?
  • Certes, mais certains de vos documents comportent quelques erreurs
  • Des erreurs comment ça ?
  • Par exemple, la lettre que le curé Ignace de st Fron, curé à l’époque des faits lui écrit, est elle  bien nécessaire ? Elle n’apporte finalement rien de bien éclairant
  • Vous voulez parler de cette lettre ou votre prédécesseur lui suggère qu’avec deux nouvelles cloches et un nouveau toit il se fait fort de calmer certains esprits chauds parmi ses paroissiens les plus rétifs. Il  précise également que ces rumeurs dont il est l’objet ne reflètent que la part de  vie et d ‘énergie que le seigneur tout puissant a bien voulu lui octroyer
  • Ecoutez Jean-Pierre ça va bien à la fin ! On ne va tourner autour du pot ! Vous nous refaites cet article en édulcorant un peu et on n’en parle plus
  • Monsieur le maire…
  • Monsieur le maire se charge de financer ce camp de fouille que vous souhaitez monter au collège il vous le rappelle au passage
  • C’est du chantage !
  • La place sir Réginal sera bientôt inaugurée et sera le fleuron de notre charmant village. la saison touristique va bientôt arriver je n’ai guère envie de voir une horde de touristes affamés d’histoires de cul, pardon pour mon langage monsieur le curé !
  • Et si je refuse ?
  • Cher ami, vous vous aventurez sur un terrain que vous ne maîtrisez guère. Continuez donc à fouiner dans les travées des bibliothèques, écrivez nous quelques bons articles sur des anecdotes plaisantes, tentez pour la énième fois de faire publier votre anthologie de la poésie périgourdine du 12ème  siècle , voilà de saines occupations mais de grâce ne me refusez rien ! Vous savez que j’ai le sang chaud et l’emportement excessif !

Pour  appuyer sa diatribe le maire venait de déployer son mètre quatre vingt seize. Jean-Pierre réajusta ses lunettes toussota un peu mais rangea finalement ses affaires dans son cartable aussi mou que lui.

Partagez et suivez-moi:

Laissez un commentaire

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Articles similaires