Jean-Pierre Portevin Je n'irai pas à Compostelle Je n’irai pas à Compostelle

Je n’irai pas à Compostelle

Inspiré de ce roman je travaille sur un projet de court-métrage et de pièce de théâtre

Roman qui retrace avec humour le parcours d’Antoine, un pèlerin sur le chemin de St Jacques de Compostelle. Il y fera des rencontres : Sophie une randonneuse expérimentée et un peu rude, JR qui ne supporte pas d’avoir des randonneurs devant lui et veut prouver à son corps que le temps n’a pas de prise sur lui, Vivi, sa femme qui marche, fait son herbier, est une adepte des graines, infirmière de son état qui soigne dès qu’elle le peut les tendons et le genou d’Antoine qui posent problème, sans oublier Martin avec son chapelet et qui prie en marchant ou marche en priant , lui même ne le sait plus très bien. Ci dessous le 1er chapitre

Les étapes

Malaise vagal et fou-rire

Le pinson et l’athlète

 Martin le pèlerin

Sophie

Maître Dupontet et la garbure

Le gite Saint-François

Les quatre coins d’un rond

Toilettes sèches

Ampoules et humanisme

Ronfleurs et morpions

La pèlerine au bouquet

1er accroc

Ultreïa VS Ultras…

Golum et Quasimodo

Aligot et cassoulet

Disneyland et la chouette

Donativo et armagnac

Ils auraient pu en être

Ivresse du chemin

Acide lactique VS le camino

Donativo et Armagnac

La lettre

Annexe : ceux qui marchent

1

Malaise vagal et fou rire

          Je m’appelle Antoine et cette idée de partir sur le chemin de Compostelle ne me ressemblait guère. Je serais bien incapable de vous en donner la raison. Je suis le genre de personne qu’il est difficile de sortir du canapé quand j’y suis bien installé, alors imaginez la réaction de ma charmante femme quand je lui ai annoncé que je partais à pied pour Compostelle. Pas étonnant qu’elle ait fait un petit malaise vagal suivi peu de temps après d’un fou rire dont elle seule a le secret. Ne vous méprenez pas je ne suis pas un de ces préretraités ramollis et sans énergie, un paquet de chips à la main devant une télé que je regardais à peine : non ! Je goûtais juste à une retraite que j’espérais de toutes mes forces et que j’estimais bien méritée. En fait, si je réfléchis bien, je ne partais pas en retraite : je sauvais ma peau tout simplement.  Depuis que le collège privé où j’officiais comme professeur d’histoire avait pris un virage qui ne me correspondait plus, la crise de nerfs me guettait. Cela c’était produit de façon insidieuse, l’air de rien, encore que je me demande bien de quoi rien peut avoir l’air. Que mon collège soit privé et catholique ne me gênait guère étant moi-même pratiquant. Ce qui semblait gêner la communauté religieuse qui tenait les rênes c’était de me voir revendiquer ma foi tout en étant, sur certains sujets, peu conforme au droit canon, je l’admets bien volontiers.

Cela aurait pu me valoir quelques remarques, mais comme j’étais en même temps le seul enseignant à faire de la catéchèse, je devais ressembler pour elles à un savon humide qu’on a du mal à tenir en main. Le temps passa, mes cheveux prirent une autre teinte : un joli blanc argenté et les élèves, qui se passaient le relais, s’amusaient de voir un « vieux sage » garder une certaine fraicheur et liberté de parole. Tout s’accéléra avec l’arrivée d’une nouvelle directrice dont l’enseignement catholique a le secret. La pauvre femme avait beau essayer de sourire, l’allure restait désespérément rigide. Elle avait dû relire cent fois la définition du mot directrice s’arrêtant à la plus évidente, à savoir, « cheffe d’établissement ». Le problème c’est qu’il m’arrive d’avoir un esprit rebelle capable d’une certaine perversité, je le reconnais. Au hasard de mes recherches, je suis tombé sur une définition qui me semblait mieux correspondre à celle qui ne serait ma directrice que durant quelques mois.  « Directrice s’applique à la direction donnée à un tir de canon en le plaçant à l’intérieur d’une meurtrière ». C’était déjà plus cohérent. Pour certains de mes collègues, une reprise en main de l’établissement semblait s’imposer : enfin un peu d’ordre ! Certes, les ados sont des êtres fascinants, voire inquiétants par certains côtés mais tout de même ! Ils m’ont toujours fait penser à des meubles en kit à monter soi-même. Le genre de meuble qui semble aller de soi, mais quand il faut passer au montage, c’est le genre savant fou. Malgré un mode d’emploi pourtant bien détaillé, bien qu’écrit en serbo-croate, on arrive malgré tout à le monter. Il vous reste certes une dizaine de clous, autant de vis et d’écrous, deux ou trois planches dont on se demande où il aurait bien fallu les mettre, mais le meuble tient. Pour moi les ados c’est pareil, ça tient debout, mais on ne sait pas trop comment. J’aime cette tranche d’âge. Elle nous pousse à l’imagination. Communiquer avec un ado par exemple : il est vrai que ça n’est pas évident, surtout si vous avez cours à huit heures, car un ado au réveil peut faire peur : yeux globuleux, regard absent. En fait ça ne se raconte pas, ça se mime. Il faut alors procéder par étapes : leur parler doucement en articulant, bouger le moins possible pour leur laisser le temps de faire le point. Après des années d’étude sur le terrain je peux désormais affirmer qu’à l’adolescence les bras poussent plus vite que les neurones !

L’impertinence de mes élèves ne m’a jamais empêché d’avoir les commandes. Il suffit de les aimer, de les faire rire de temps en temps et surtout de les écouter en les prenant au sérieux. Le reste, la pédagogie, c’est de la simple technique.

Nous n’étions que trois spécimens à résister à cette ambiance mortifère : les professeurs de musique, d’allemand et de français (ce qui avec moi fait bien quatre finalement). Nous avions formé une troupe destinée à disparaitre nous le savions déjà et nous nous étions auto-désignés « les dinosaures » !  L’équipe d’encadrement qui n’a jamais aussi bien porté son nom à l’époque, avait le sourire béat de celles et ceux qui allaient enfin retrouver l’école de leur enfance. Leur slogan était limpide : « c’était mieux avant » !

La tenue des élèves devait correspondre à des canons de respectabilité stricts. J’avais bien tenté d’argumenter, prétextant qu’un élève aux cheveux verts ne me dérangeait nullement, à partir du moment où l’élève en question travaillait et restait poli. Je n’aurai pas dû, on me regarda alors avec inquiétude. Si encore j’avais hurlé en demandant en salle des profs.

  •  Et si le Christ avait eu les cheveux bleus, son message en aurait-il été affadi ?

Là j’aurais compris qu’on m’en veuille. En y repensant, je crois bien que je l’ai dit ! Un nouvel aumônier arriva, soutane en avant.

  • L’habit ne fait pas le moine, me dit la directrice avec son sourire hypocrite.
  • Vous avez entièrement raison, ce que je ne comprends pas c’est que le Christ, lui, était habillé comme tout le monde.

Et si la tradition était un beau mot, je m’étonnais que le Vatican n’ait pas encore imposé la messe en Araméen, quitte à faire.

C’est fou ce qu’une retraite qui pointe le bout de son nez et un statut de titulaire à la clé, peut donner de liberté. Je n’attendis donc pas d’avoir tous mes trimestres pour sauver ma peau abandonnant c’est vrai mes camarades dont j’appris peu après que deux étaient en arrêt prolongé et l’autre en maison de repos. La retraite m’a donc exfiltré de l’enseignement catholique comme dans les films d’espionnage ! Très belle rencontre au demeurant entre la retraite et moi, très bon feeling vraiment. Les élèves me manqueraient, mais le temps était venu. Ce fut donc en premier lieu mon canapé qui m’accueillit et c’est bien calé sur mes coussins que Compostelle s’imposa.  Ma femme, une fois le malaise vagal et le fou rire terminés, m’encouragea avec enthousiasme : peut-être voyait-elle là l’occasion de profiter elle aussi un peu plus du canapé. Quelques amis de la paroisse oscillèrent entre surprise et soulagement, certains allèrent jusqu’à me lancer d’un ton un peu aigre.

  • Enfin, ce n’est pas trop tôt !
  • Pourquoi ?
  • Quand on voit les positions que tu prends…

Je ne répondis rien, mais je me demandais comment ils pouvaient être au courant de ma vie sexuelle.

Une fois la décision prise j’ai commencé à en parler chaque fois que l’occasion se présentait et cela pour deux raisons. La première : parce que cela m’obligeait un peu. Si ne partais pas j’aurais eu l’air de ce que je ne veux pas du tout être. La seconde : moins glorieuse, quand on me demandait ce que j’allais faire de ma retraite, je pouvais répondre d’un air faussement détaché :

  • Ô rien dans un premier temps, je vais aller à Compostelle.

Nous avons de ces futilités parfois, mais si vous connaissez un peu la vie, vous savez comment ça se passe, des fois on prononce sans y penser quelque parole et après, il arrive qu’on les regrette. Les regrets ont commencé quand j’ai vu la carte. Du Puy-en-Velay, mon point de départ jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle en Espagne, il faut compter, à la louche environ mille six cents kilomètres, à pied. Cela peut faire peur, du moins poser question et le profil de certaines étapes n’avait rien à voir avec la platitude de ma Sologne natale ! Je m’attaquais à du sérieux, il allait falloir partir équipé. L’achat du sac à dos ne posa pas problème, le remplir fut une autre paire de manches. En écoutant les conseils des « anciens », j’ai vite pris conscience d’une règle à laquelle il ne fallait pas déroger : partir léger. Et là, il s’est passé quelque chose d’étrange. À mon avis cela a dû se produire un soir de pleine lune, je ne vois pas d’autre explication. J’étais devenu un obsédé du moindre gramme. Ma femme a même pris peur.  Il est vrai qu’avant je n’avais jamais de ma vie pesé un slip ou une paire de chaussettes, jamais.  Grâce à elle, je me suis repris et décidais que j’emmènerais seulement un slip, un pantalon, un tee-shirt, une paire de chaussettes et basta !  Pour deux mois de randonnée, c’est largement suffisant ! Et une cape de pluie, Ha la cape de pluie, j’allais oublier la cape de pluie. Je vous avoue que si jamais je tombe sur l’inventeur du Gore-Tex, je l’étrangle. Cette membrane est censée vous laisser respirer et vous assurer une étanchéité à toute épreuve. Sur celle que j’ai acheté c’était bien spécifié, « résiste à une pluie d’orage ». Ils n’avaient pas menti !  Le premier orage remporta l’épreuve haut la main, au deuxième par contre j’étais trempé comme une soupe, j’avais une serpillère sur le dos.  J’ai alors découvert le plaisir que tout randonneur se doit d’avoir expérimenté au moins une fois dans sa vie : marcher trempé.

L’entrainement fut la seconde étape. J’avais besoin d’une remise à niveau : deux heures de marche quotidienne me semblait suffisant mais il en va de Compostelle comme du reste, il y a cette secte que l’on retrouve dans de nombreux domaines : « ceux qui savent ». Certains étaient sympathiques et bienveillants, heureux que je rejoigne  pour la bande mais il y en eut d’autres que je laissais à leur savoir.

La date étant fixée j’avais hâte de voir ce dont je serais capable moi qui aime bien tout contrôler. Quand je montais dans le train qui m’emmenait au Puy-en-Velay, dans les yeux de ma femme je vis ce délicieux mélange de surprise et de fierté.

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