Jean-Pierre Portevin Non classé Alain et l’autre

Alain et l’autre

Cette œuvre, initialement conçue comme une pièce de théâtre, s’est transformée en un roman captivant. Nous suivons le parcours d’un homme misanthrope, dont la vie a été bouleversée par un tragique accident de voiture qui lui a arraché sa femme et son père.

Le récit se construit autour de cet homme brisé, confronté à des personnages inattendus: Une fonctionnaire du recensement, déterminée, sa mère, pleine de vie, et un curé atypique peu conforme au droit canon. Malgré le pitch du départ feel good et humour au programme !

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Pierre

          Comme tous les matins depuis les évènements Pierre se préparait un café puis se traînait jusqu’à la douche et tant pis si à son retour le café était froid. Il l’avalait rapidement, se grillait quelques toasts qu’il avalait tout aussi vite. Un dernier coup de peigne dont il n’avait guère besoin avec ses cheveux épais et drus qui tenaient tout seuls puis il partait avec son vieux cartable pour le collège tout proche de chez lui.

Chez lui ! A chaque fois qu’il y pensait il disait « chez lui ». Le « chez nous » avait disparu le même jour que les évènements. Il arrivait à pieds quel que soit le temps mais cela il le faisait déjà avant. Il habitait à cinq minutes tout au plus. Un luxe qu’il appréciait et qui tenait plus au hasard qu’à autre chose.

Un ancien séminaire en déshérence et à deux doigts d’être détruit tant il était insalubre, avait retrouvé  sa magnificence quand  le collège privé dans lequel il enseignait depuis dix ans avait  investi les lieux. La mort…du moins l’héritage de Mme Charpak, une ancienne élève qui avait fait fortune dans l’immobilier avait grandement participé à la rénovation.

Le quartier avait peu à peu opéré sa mue. « Avant » (décidemment cette expression lui collait aux pattes comme une mauvaise glaise) les murs étaient gris, avec parfois un crépi douteux, les façades n’avaient plus d’haussmannien que le nom. Certains immeubles pouvaient faire illusion mais quant au matin il allait à son travail, il voyait bien que les portes cochères recrachaient sur le trottoir des gens fatigués qui marchaient vite et tête baissée. La station de métro enfournait comme toutes ses consœurs la foule habituelle des « matinaux ».

Le quartier n’avait à offrir qu’un petit parc bien entretenu, seule tache de vert réquisitionnée la journée par les vieux qui venaient là prendre l’air, échanger des souvenirs qu’ils devaient se raconter depuis des années mais qu’importe, on pouvait sortir un peu. Il y en avait toujours quatre, moins décatis que les autres, qui jouaient aux échecs sans que rien ne puisse les déconcentrer ou alors ils ne voulaient pas lever la tête et regarder ce qu’ils deviendraient peut-être dans quelque temps. Le soir venu, le parc accueillait une autre faune toute aussi perdue.

Dans ce quartier atone, l’arrivée de ce collège catholique fit l’effet d’un chien dans un jeu de quilles mais attention, des chiens de race et des quilles customisées. Une boulangerie avait ouvert offrant aux appétits d’adolescents affamés comme peuvent l’être des bourgeois en boutons toute une gamme de viennoiseries que leurs estomacs engloutissaient avec avidité. Quand il les regardait il avait envie de leur dire « mais profitez bon dieu » ! Lui partait toujours suffisamment tôt pour acheter son journal et grignoter l’esprit tranquille assis à la terrasse du bistrot branché qui venait de s’installer.

Encore quelques mois et ce quartier populaire verrait ses façades refaites, deux ou trois boutiques de mode éco responsables s’installer, un restaurant vegan, un cabinet médical spécialisé en médecines douces remplacer une trop vieille libraire et un pressing de mauvaise qualité. Le cinéma résisterait peut-être s’il se spécialisait dans les films d’art et d’essai.

Il pensait à tout cela en se disant qu’il avait bien fait d’acheter cet appartement car bientôt les prix des loyers connaitraient une hausse conséquente qui entrainerait le départ des habitués : ils iraient plus loin.

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